L’avis des critiques

C’est drôle. Drôle pour moi de voir enfin le travail des critiques de l’extérieur. C’est d’autant plus drôle que je n’avais jamais pris le temps d’analyser leur façon de faire quand j’étais moi-même chroniqueur au Voir.

C’est drôle, surtout: drôle de voir comment les critiques ne s’entendent pas à propos de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas. En font foi les frictions virtuelles qui provoquent des flammèches entre le nouveau rédacteur en chef de Voir Saguenay/Alma,  Joël Martel, qui a une façon très personnelle de comprendre ce que signifie le sens critique (#fail, mais je l’aime pareil) et celui de son journaliste, Dario Larouche (Les clapotis d’un yoyo), qui argumente depuis des années pour faire comprendre au monde que la critique n’est pas une question d’amour mais plutôt d’analyse des signes du théâtre – jeu, scénographie, musique, éclairages, etc.

Mais au-delà de cette mésentente locale sur le sens du « sens critique », d’autres critiques se sont intéressés à Les Sens, et en disent des choses diamétralement opposées.

D’un côté, on lit de Philippe Couture (Le Devoir) que Jean-Rock Gaudrault « fait se «toucher» deux personnages opposés, dans un renversement dramatique irréprochable« , que Michel-Marc Bouchard « s’attaque à l’odorat en remuant quelques ingrédients gagnants » et que « le clou de la soirée vient sans surprise de la plume de Larry Tremblay », à propos de qui il précise que le thème des sens « sied parfaitement (…), [qu’il] sait mieux que quiconque déconstruire le corps, ses organes comme ses prolongements sensoriels, affectifs ou identitaires. Avec, en prime, une petite dose d’érotisme…. »

De l’autre côté, on entend Christian Saint-Pierre (Voir Télé) pointer comme des moments forts le tableau de Pierre-Michel Tremblay (« C’est assez bien vu, assez rigolo en plus… ») et la pièce de Daniel Danis « tout à fait dans le style de Danis, la langue, aussi… »

Au même moment, dans sa chronique, Joël Martel ne rejetait du spectacle que le sixième tableau (celui de Danis, justement…), avouant avoir aimé les cinq autres « j’ai adoré de a à y » – donc ceux de Michel Marc Bouchard, Sylvie Bouchard, Pierre-Michel Tremblay, Jean-Rock Gaudreault et Larry Tremblay…

Et dans la même publication, Dario Larouche disait des tableaux du toucher (Jean-Rock Gaudreault), de l’ouïe (Larry Tremblay) et du goût (Pierre-Michel Tremblay) qu’ils « atteignaient facilement la cible ».

Je ne ferai pas le survol du travail de tous les critiques qui se sont penchés sur Les Sens, mais ce que j’essaie de montrer, c’est seulement que quand on parle de critique, l’intérêt de chaque individu prime plus souvent qu’autrement sur le vrai « sens critique », malheureusement.

« Tous les goûts sont dans la nature. Sont-ils tous dans la culture? La réponse est probablement oui, et parfois, ça fait peur. » (Touché! Il s’agit du mot composé par Pierre-Michel Tremblay pour notre programme, qui montre encore une fois qu’il a une maîtrise particulièrement savoureuse du mot d’esprit…)

Ce que ça dit, surtout, c’est le génie de Benoît Lagrandeur qui a su créer un spectacle qui, littéralement, en offre pour tous les goûts. Tout le monde est touché, mais pas au même moment. Chacun en a plein la vue, à un moment ou un autre. Parmi les six courtes pièces présentées, malgré la distance qui semble irrémédiablement les séparer, peu importe les préférences ou l’expérience qu’on a du théâtre, chacun trouve son compte dans Les Sens. Même les critiques.

Lagrandeur voulait rendre hommage à ces auteurs venus d’ici, montrer la diversité et la richesse de leurs voix… Cette diversité, cette richesse, ça nous pète dans le front quand on assiste au spectacle. Il a réussi.

Salut, les comédiens!

Ils étaient beaux.

Ils étaient beaux avant la représentation. À  dompter le trac, chacun sa façon, à rugir-gémir-éclater de rire-trembler-douter-arpenter le corridor… Dans cet état second, quasi extatique, à peu près pas reconnaissables.

Ils étaient beaux pendant la représentation, en pleine possession de leurs moyens, à prouver tout leur talent à la face du monde, changeant maintes fois de personnages en réussissant chaque fois à nous faire oublier le précédent. Malgré les changements d’univers, malgré la différence entre les langues des auteurs et les histoires qu’ils ont inventées, à suivre le rythme sans fléchir et sans s’essouffler.

Ils étaient beaux après la représentation, leur corps comme pris entre la scène et le vrai monde, revenant peu à peu à eux-mêmes, à cette joie, cette exubérance, ou à ce calme discret, ou encore à cette allure posée mais tout à la fois décidée.

Ce sont de grands comédiens. Pas seulement pour leur expérience, mais aussi parce qu’ils sont eux-mêmes des créateurs, des touche-à-tout, des passionnés.

Ils seront beaux encore ce soir. Et demain. Et après demain. De plus en plus jusqu’à la fin.

Salut, Benoît.

Salut, Guylaine.

Salut, Patrice.

Salut, Émilie.

Salut, Guillaume.

Salut, Sara.

Le gars des comm. vous lève son chapeau, au sens propre comme au sens figuré.