Une bombe dans mes bagages

J’ai eu la chienne.

Je roulais, peinard, sur le boulevard du Saguenay. RTA crachait ses vapeurs dans un ciel s’obscurcissant, encore accroché au jour mais résolument tourné vers ce qui s’en venait de nuit. Le retour du boulot est tranquille, maintenant. Mon plus jeune a retrouvé un service de garde à Chicoutimi, alors il n’est plus là pour remplir le silence de l’habitacle avec son babillage excité et ses comptines incessantes. Pour remplir le vide, j’ai allumé la radio.

Aux nouvelles: branle-bas de combat à propos d’une femme qui aurait affirmé aux douaniers de l’aéroport de Bagotville qu’elle avait une bombe dans ses bagages.

Dans ma tête, ça a fait 1+1=2.

La chienne, je vous dit. J’ai eu peur que la dame s’explique.

Dans ma tête toujours, elle était venue assister à Les Sens. Et elle parlait avec sa chum de fille du tableau mémorable écrit par Larry Tremblay, Le Dernier Almodovar, qui met en scène (entre autres) le fantasme téléphonique d’un chauffeur de taxi  et… d’une douanière.

France: Rien à déclarer?
Mathieu: Oui.
France: Quoi?
Mathieu: Une bombe.
France: Ce genre de commentaire n’est pas toléré dans un aéroport.
Mathieu: J’ai un explosif dans mes pantalons.

(Larry Tremblay, Le Dernier Almodovar, Les Sens)

Dans ma tête, ça fait 2+2=4.

Elle trouvait le douanier de son goût. Ou alors, tellement pas! Elle voulait juste faire rire sa chum de fille, qui était venue avec elle voir le show la semaine d’avant. Il s’en passe, des choses, dans ma tête.

Oh oui, j’ai eu la chienne. La chienne que dans la tête du journaliste qui annonçait la nouvelle, ça fasse 1+1=2. Et 2+2=4.

 

Le Dernier Almodovar, Larry Tremblay - Photo: Jean Briand

 

Aller au bout de nos rêves

Notre production n’est pas terminée que déjà je prépare la venue de la prochaine production jeunesse que nous accueillerons, Le Grand Voyage de Petit Rocher. Je suis juste séduit. Un petit rocher qui veut bouger…

Voyez le teaser…

Ça sent la sauge

Ça sentait la sauge quand je me suis faufilé pour sortir de la salle. Le dernier tableau n’est pas terminé, mais je suis retourné dans mon bureau, boîte de lumière crue jouquée sur le mont Jacob.

J’ai aimé la représentation de ce soir. Le jeu des comédiens a gagné en nuances et assurance. J’ai décelé ici et là les ajustements qui ont été apportés au spectacle. Le théâtre est un art vivant, jamais définitif.

J’aime.

Dans pas long, les gens vont sortir. À entendre leur réaction, la façon dont ils ont applaudi entre les tableaux, leur réponse spontanée tout au long des dialogues… Ils auront apprécié. Je suis déjà tellement content.

Ça sent la sauge encore un peu dans ma tête. La lumière du bureau n’a pas tout chassé. Je vais retourner poser l’oreille près de la porte de la salle. Ils sont sur le point de se lever.

 

Les Sens dans Les Paradis artificiels

Je me souviendrai toujours de ce soir-là. J’étais allé me réfugier chez ma mère, dans le bas du fleuve. Et là-bas, je m’étais retranché dans la cave, laissant ma blonde et le plus vieux (le plus jeune n’était pas encore né) à leur réunion familiale avec grand-maman et grand-papa, quelque part à l’étage.

Sur le vieux divan de cuirette écorché qui jouxtait le poil à bois, chauffé à blanc pour combattre décembre et l’humidité, je m’enivrais de lire Baudelaire. J’avais entre les mains Les Paradis artificiels, et je suais à grosses gouttes en me chauffant au feu de bois, fourrant une nouvelle bûche dans la truie dès que cherchaient à grisonner les tisons… Bonheur total, les sens en éveil.

Je ne vous cite pas ça de mémoire car, outre le bien-être du décrochage, je n’ai pas retenu grand-chose de cette lecture, sinon l’instinct, justement, de « quelque chose ». En farfouillant sur le web, j’ai retrouvé ce qu’écrivait Baudelaire à propos des sens dans ses Paradis artificiels:

Les Sens* deviennent d’une finesse et d’une acuité extraordinaires. Les yeux percent l’infini. L’oreille perçoit les sons les plus insaisissables au milieu des bruits les plus aigus.»
Charles Baudelaire

Le théâtre est le lieu de tous les paradis artificiels. Même quand on reste à jeun.

*La majuscule est de moi, évidemment…